Pouvez-vous préciser en quelques lignes votre rôle au sein de la communauté des Open Badges ?
Je me suis intéressé aux Open Badges dès 2012, grâce à mon ami Don Presant qui m’avait suggéré à l’époque d’intégrer ce sujet dans la conférence ePIC que nous avions créé en 2003 pour explorer le potentiel du ePortfolio.
En 2016, alors que la conférence se tenait à Bologne, avec Don Presant et Nate Otto, nous avons publié la « Bologna Open Recognition Declaration » (Déclaration de Bologne pour une Reconnaissance Ouverte) qui a notamment ouvert la voie à la création de « Reconnaître—Open Recognition Alliance » en 2018. Mon travail au sein de la communauté Open Badges a été principalement de faire comprendre que les Open Badges sont bien plus que des « mini-diplômes », que les Américains appellent « micro-credentials » et qu’ils ouvrent de nouveaux horizons en faisant de la « reconnaissance » la question centrale, le badge étant la simple trace, pour ne pas dire « le résidu », d’un processus de reconnaissance.
La Normandie a été la première région à lancer une initiative autour des Open Badges à l’échelle d’un territoire. Où en est-on aujourd’hui en France ?
Pour qu’un badge vive, il a besoin d’un écosystème qui le nourrisse et s’en nourrisse. Les territoires , urbains et ruraux, sont les espaces dans lesquels ils ont une chance de se développer en contribuant à ce que l’on appelle un « territoire apprenant » (qui est différent d’un « territoire formateur »), c.f. la description donnée par le CEDEFOP d’une région apprenante :
« Les régions apprenantes consistent à créer des communautés locales innovantes, compétitives et socialement cohésives. Elles reposent sur la coopération, la mise en réseau et les partenariats associant tous les acteurs, sociaux et économiques. La clé du lancement et de la maintenance de ces processus est l’apprentissage collaboratif continu pour atteindre les objectifs pratiques de la communauté. » — Source : CEDFOP « Learning together for local innovation: promoting learning regions ».
Les Open Badges, comme « signes de reconnaissance », sont d’excellents instruments pour rendre visible le capital humain et social d’un territoire par sa mise en réseau dans la mise en oeuvre de projets comme la transition agro-écologique qui est un des points clés de l’initiative Badgeons la Normandie. Depuis, de nouvelles initiatives régionales ont vu le jour, comme Badgeons le Centre Val de Loire, Badges Ouverts A Tous (BOAT en Nouvelle Aquitaine), Badgeons les Pays de la Loire. La ville d’Angers a aussi un projet très intéressant d’utilisation des Open Badges au service d’une « Ville Apprenante ».
Y a t-il des réticences à l’utilisation des Open Badges ? Quels sont les freins au développement de leur plein usage en France ?
Il y a eux types de problèmes que les gens ont initialement avec les badges :
1) comprendre que ce n’est qu’un véhicule pour transporter de l’information, au même titre qu’une feuille de papier ou une carte Bristol.
2) que l’information véhiculée par le badge est une reconnaissance qui peut être aussi bien formelle, comme un diplôme ou un certificat, qu’informelle, comme un endossement par des pairs.
Une fois compris qu’un badge n’est que l’instrument qui permet de capturer une reconnaissance, « un instantané de la reconnaissance », comme une photo de capturer un instant, les questions comme « est-ce qu’un badge est moins bien qu’un diplôme ? » tombent d’elles mêmes (est-ce qu’un diplôme imprimé sur une carte de visite à moins de valeur qu’imprimé sur une page de format A3 ?).
Une fois compris ce qu’est un badge, le plus difficile reste à faire : ne pas penser le badge comme “micro-certificat” mais bien comme une marque de reconnaissance, comme un instrument pour faire émerger des écosystèmes ouverts de reconnaissance dans lesquels tout le monde peut, voire devrait, contribuer. Le message commence à passer et je pense pouvoir dire que la France est à l’initiative de ce courant fortement inspiré de l’expérience des Réseaux d’Echanges Réciproques de Savoirs (RERS) qui étaient déjà à leur manière des écosystèmes ouverts de reconnaissance.
Quelles sont les perspectives pour les Open Badges ? Des évolutions, technologiques ou autres, sont-elles envisagées ?
Si les Open Badges ont été inventés pour « rendre visibles les apprentissages informels », nous commençons à comprendre qu’ils permettent aussi de « rendre visibles les reconnaissances informelles ». Une des critiques que je formulais à l’égard des premières technologies Open Badges est que l’on avait de facto « interdit » aux personnes la liberté de reconnaître : le Backpack de Mozilla avait été uniquement conçu pour stocker les badges, pas pour en émettre. C’est un peu comme si nous avions une application de courriel avec laquelle on aurait le droit de recevoir du courrier mais pas d’en écrire… Les choses ont bien évolué sur ce point ces dernières années. La plus grande faiblesse des Open Badges à ce jour est le manque d’applications qui les utilisent et les mettent en valeur. Je dis souvent que les Open Badges sont si bêtes que l’on arrive même pas à ouvrir une porte avec—un défi pour un Fablab ? Les éditeurs de plates-formes de badges commencent à faire de grands progrès sur cette question comme Open Badge Factory avec la géolocalisation qui rend visibles les compétences d’un territoire, Badgr avec les « parcours de badge » (Pathways) ou Openbadges.me et son moteur de règles pour l’émission de badges. Avec des experts des Open Badges nous explorons le potentiel de nouvelles technologies comme les Bitoftrusts pour rendre les Open Badges encore plus flexibles et « activables » qu’ils le sont à ce jour.
Merci à Serge Ravet pour sa disponibilité.