Claire HEBER-SUFFRIN, co-fondatrice et Présidente d’honneur des Réseaux d’Echanges Réciproques de Savoirs (RERS), Présidente d’honneur de l’association Reconnaître, a accepté de se prêter au jeu de l’interview.

Bonjour Claire. Vous êtes co-fondatrice et présidente d’honneur du mouvement national des Réseau d’Echanges Réciproques de Savoirs. Pouvez-vous présenter en quelques mots quels sont les fondements du RERS ?

Un postulat : tout-un-chacun est porteur de savoirs et d’ignorances.
Une invitation à l’engagement : chacun est invité à formuler offres et demandes de savoirs de toutes sortes : connaissances, savoir-faire, expériences… Une équipe d’animation du réseau met en relation offreurs et demandeurs afin qu’ils construisent ensemble les contenus, méthodes et modalités des échanges.
Des actions solidaires : chacun sera enseigné et enseignant.

 

Trois fondements :

  • Tous les savoirs (qui respectent les personnes et la paix entre elles) sont de droit pour tous. Ils sont, là, considérés comme incommensurables et incomparables, tous à la fois, preuves, chances et tremplins ;
  • La réciprocité crée des relations égalitaires. Elle est une vraie démarche pour apprendre : on apprend en transmettant, on apprend en cherchant le savoir ;
  • Un réseau ouvert et hétérogène est une matrice infinie d’apprentissages d’autoformation, de co-formation et de formation réciproque où chacun est reconnu comme essentiel.
  • Cette démarche prouve :
    Que nous pouvons faire de nos savoirs des chances pour les autres ; Que la prise de conscience de nos ignorances est un double signe : à soi que l’on peut tenter d’apprendre, aux autres, que l’on a besoin d’eux pour le faire ;
  • Que les savoirs sont des processus complexes et vivants à alimenter en permanence ; Que nous pouvons concrétiser cette conviction que nous avons tous intérêt à l’enrichissement cognitif, éthique, humain des autres.
    Reconnaissance et démocratie contributive :
         1. En un temps où se pose les questions du Bien vivre ensemble, du besoin de reconnaissance pour tout un chacun, du refus des exclusions diverses qui affaiblissent notre démocratie, ce projet construit ou répare de l’estime de soi, développe des reconnaissances réciproques, génère des parcours de formations…
         2. Il renouvelle les concepts et pratiques des organisations, met en œuvre des systèmes coopératifs quant à la formation et aux apprentissages, élabore, au jour le jour, de la citoyenneté contributive. Chacun est reconnu comme essentiel !

En quoi le projet incarné par l’association Reconnaître et porté par les membres de la communauté fait-il sens selon vous ?

  1. Ce projet inscrit, me semble-t-il, la primauté absolue de chaque personne humaine et de sa dignité dans ses fondements et ses pratiques. Les dispositifs et outils qu’il promeut sont au service de cette reconnaissance. En tout cas, le projet incarné par l’association Reconnaître m’intéresse tant que ce choix est fait visiblement et lisiblement.
  2. Les outils de reconnaissance proposés concernent les cheminements des personnes, leurs expériences et leurs pratiques. Les connaissances et compétences sont reconnues parce qu’elles se sont construites dans et par ces cheminements (faits de rencontres, d’essais et erreurs, d’apprentissages formels et informels…) et parce qu’elles continuent à ouvrir, élargir, consolider ces cheminements.
  3. Un choix d’avancer vers davantage de réciprocité dans cette démarche et son élargissement est le signe d’une volonté de construire une société plus égalitaire et plus solidaire. Chacun pourrait être celui qui reçoit des reconnaissances (celles qui construisent l’estime de soi et des autres, le désir de vivre dans des institutions que l’on peut rendre plus justes, les expériences positives qui nous font croire à notre capacité d’affronter l’avenir) ; et celui qui offre des reconnaissances pour ce qu’il devient alors capable de dire de ce qu’il a reçu des autres.
  4. Une dynamique de recherche-action. De formation permanente et d’expérimentation. C’est dire clairement le choix des valeurs qui rassemblent et les doutes partagés qui font avancer. Les outils ne sont jamais premiers. Jamais définitivement “bons”. il est toujours nécessaire de les interroger dans leur cohérence avec le projet et ses finalités et avec les attitudes et postures de ceux qui les utilisent. les membres de “Reconnaître” que j’ai rencontrés étaient dans cet état d’esprit de recherche qui renvoie à la responsabilité et évitent l’arrogance.
  5. Ce projet répond, selon moi, à quelques urgences sociales et il y répond en créant des outils “que l’on prend le temps de construire”.

Les RERS sont une vraie réussite, avec plusieurs centaines de réseaux en France et dans les pays francophone. Les Open Badges pourraient-ils, selon vous, apporter une plus-value au mouvement ? Dans quelle mesure ?

Oui, oui, oui.

  1. D’évidence pour reconnaître les animateurs, coordinateurs, responsables… de réseaux d’échanges réciproques de savoirs qui sont en train de construire, par leurs pratiques et leurs analyses, un vrai “métier” d’animateur de réseaux ouverts de plus en plus nécessaire actuellement.
  2. Parce que les réflexions issues de la mise en place des Open Badges croisent celles de ces réseaux, les rejoignent souvent, peuvent les enrichir (et réciproquement bien entendu !).
  3. Parce que les formations réciproques entre les acteurs de ces deux projets seraient bénéfiques pour tous et… inventives.
  4. Une question à laquelle je ne sais pas répondre. dans les échanges réciproques de savoirs eux-mêmes, il arrive souvent que des personnes qui n’ont pas eu leurs compte de regards positifs pour se croire dignes d’estime, dignes d’apprendre, capables de transmettre ou d’apprendre à le faire… se lancent justement parce qu’aucun enjeu de reconnaissance plus ou moins formalisé n’est annoncé. Sel le plaisir de partager, l’apprentissage réussi ou la transmission réussie font valeur. La proposition de badges changerait-elle cela ?
  5. Je suis aussi intéressée par la proposition de badges collectifs que des organisations (les réseaux d’échanges réciproques de savoirs entre eux, ces réseaux et d’autres organisations, des écoles ou des classes entre elles…) pourraient créer et s’attribuer “festivement”.

Si vous deviez imaginer trois badges, lesquels seraient-ils : “Je fais …” / “Je sais …” / “Je peux …” ? Que reconnaîtraient-ils et quels en seraient les critères d’attribution ?

  1. Je fais : J’accompagne le repérage interactif des savoirs et des manques entre personnes très différentes.
  2. Je sais : Animer une formation sur la force de la réciprocité et les outils pour la mettre en oeuvre et la faire vivre.
  3. Je peux : Aider un collectif à identifier ses savoirs (ceux qui le font réussir comme collectif dans son projet) et ses manques (ceux dont il aurait besoin pour se consolider tout en s’ouvrant, ceux dont il prend conscience qu’il pourrait les trouver chez les autres).

Critères d’attribution : Récits d’expériences réussies, décrites précisément et concrètement, analysées et mises en perspectives / Validation par quelques personnes (cinq ?) qui ont pu vivre ces moments / Formulation d’envies de continuer à apprendre sur ces points et de projets concrets pour le faire.

En tant que Présidente d’honneur de l’association Reconnaître, auriez-vous envie d’adresser un message à la communauté de la reconnaissance ouverte ?

  1. Tout d’abord, et ce n’est pas une formule de politesse, la remercier pour ce titre qui est une reconnaissance, une fierté, mais que je ne ressens absolument pas comme la reconnaissance d’un mérite. Plutôt comme un “événement-début” qui engage un avenir de coopération.
  2. Toutes les occasions de rencontre que j’ai eues avec des membres de cette communauté (au fond je ne la connais que par ces rencontres “en présence” :que cette présence soit dans un même lieu ou à distance) ont été chaleureuses, amicales, ouvertes, intéressantes et m’ont donné à penser. Ce qui est le signe d’une pensée en mouvement qui évite les dogmatismes. C’est une vigilance permanente à se donner ensemble.
  3. Vous êtes sur une question “essentielle”. Il est donc de notre, votre, responsabilité de continuer à être en recherche, en expérimentation, en liens.

 

Merci, Claire, d’avoir accepté de jouer le jeu de l’interview. Nous espérons que les membres de la communauté auront le plaisir de vous voir lors de la prochaine Conférence ePIC !